Wilhelm von Kobell 1798 – Das Halali (Ausschnitt)- Kunstsammlung Veste Cobung

La Trompe en Allemagne du XVIIIième siècle à nos jours

La Vènerie en Allemagne au XVIII siècle

Les historiens de la chasse allemande (Etats Allemands et Empire Austro-Hongrois) s’accordent à considérer le XVIII° siècle comme étant l’apogée de la vènerie germanique. Elle résulte d’abord d’une tradition locale attestée par une documentation abondante. Mais aussi, depuis le XV° siècle, sont parus en France divers ouvrages encyclopédiques sur la vénerie, depuis Gaston Fébus (1389)  jusqu’à J. du Fouilloux (1573), qui sont accueillis avec intérêt dans les nombreuses cours de princes indépendants soucieux de manifester leur puissance. Par ailleurs, la trompe de chasse est créée à Versailles vers 1680 ; c’est aussi l’époque où le comte F. A. von Sporck (1662-1738) séjourne à la cour de Louis XIV et y découvre la vénerie française et la trompe dont il devient le zélé propagandiste. La trompe est aussitôt adoptée en Allemagne à tel point qu’elle est rapidement fabriquée par des chaudronniers à Vienne, à Nuremberg et à Hambourg, puis à Dresde et à Berlin.

L’engouement pour la trompe devient considérable. Les peintres de l’époque, Johann Elias Ridinger (1698-1767) et ses fils Martin Elias Ridinger (1730-1780) et Johann Jakob Ridinger (1735-1784), Georg Adam Eger (1727-1808), Wilhelm von Kobell (1766-1853), Ernst August Röhling (1845-1887) et Georg Koch (1857-1936) nous montrent que la trompe est omniprésente parmi de nombreux équipages de chasse à courre (Parforcejagd ou Hetzjagd), dont ceux en grand apparat de Guillaume de Bade-Durlach, de Louis de Hesse-Darmstadt, de Charles-Auguste de Saxe-Weimar, fréquenté par Goethe, ou celui du château de Moritzbourg de Frédéric-Auguste II le Fort, Grand Electeur de Saxe et roi de Pologne. Il est donc évident que, pour des raisons qui tiennent à la structure politique non centralisée des Etats Allemands, les équipages de vènerie y furent à cette époque très nombreux.

La Trompe et sa musique au XVIII siècle

Néanmoins, von Sporck étant un amateur d’arts, il fréquente assidument les cours princières et donne aussitôt à la trompe nouvellement introduite en terres germaniques une orientation plus musicale qu’en France. Pour répondre à cette nécessité et remédier à ses insuffisances de tessiture, les chaudronniers Leichamschneider de Vienne créent (1703) le « cor à tons » ou Inventionshorn permettant de jouer en plusieurs clés, tandis que pour corriger le timbre métallique des trompes françaises de Crétien, ils modifient la perce du tube d’embouchure et le profile du pavillon à 9¼ pouces. L’embouchure en cupule peu profonde est convertie en entonnoir conique. Enfin, Anton Hampel, sonneur à la cour de Dresde, invente la technique des notes bouchées pour passer les demi-tons. Dès lors, la trompe développe deux registres parallèles, celui de la chasse avec la trompe originelle et celui des églises et des châteaux pour l’orchestre grâce à un instrument évolutif.

En 1712, deux premiers joueurs de trompe sont engagés à la chapelle impériale (Hofkapelle) de Vienne, tandis que sur les domaines de von Sporck, parfois jusqu’à huit trompes accompagnent la messe de la Saint-Hubert (Chaline, 2015), soit plus d’un siècle avant la notation en France de la messe d’Estival, datée de 1843. Von Sporck est également l’un des premiers à faire entrer la trompe ou le cor dans un ensemble instrumental de salon ou de concert, en l’associant à d’autres instruments. Les exemples en sont nombreux durant tout le siècle. Dès 1695, à la cour électorale de Hanovre, est donné un opéra de Steffani où quatre trompes sont prévues. C’est également le cas en 1708 lors du mariage du roi de Prusse à propos d’un opéra-comique de Stricker associant trompe et hautbois. En 1711, deux sonneurs sont engagés par l’orchestre de la cour de Dresde. La trompe est alors décrite comme un instrument « en vogue » à l’orchestre, à l’église, au théâtre et dans la musique de chambre (J. Mattheson, 1713). Depuis les traités faisant entrer le royaume de Naples dans la monarchie autrichienne, la trompe ou trompa da caccia fait même partie de l’orchestre dans les opéras napolitains de Scarlatti.Des fanfares de trompe résonnent lors du mariage de l’Electeur-roi avec l’archiduchesse Maria Josepha, en 1719.

Après la mort de Sporck survenue en 1738, J.S. Bach associe dans sa Cantate paysanne (1742) cor, violon, alto, basse continue et flûte traversière. Telles sont devenues les aptitudes musicales de la trompe après que les facteurs germaniques lui aient apporté les modifications amplifiant ses performances. Du reste, cette évolution se poursuivra au siècle suivant : introduction de pistons par Blümel et Stölzel (Berlin), de palettes par Uhlmann (Vienne) … la dernière modification étant due à Kruspe de Erfurt qui aboutit au cor d’harmonie que nous connaissons aujourd’hui, incontournable dans les ensembles orchestraux. Cependant, la trompe rustique (Naturhorn) reste en usage à la chasse.

Déclin de la vènerie au XIX siècle

Néanmoins, dès la fin du XVIII siècle, la vènerie n’est pas à l’abri de nombreuses critiques de la part de la société. « C’est toujours pareil, beaucoup de bruit pour chasser et prendre un lièvre » (Goethe, 1785). Trop passionnelle, trop ostentatoire, trop onéreuse, trop dommageable aux cultures, trop cruelle envers les animaux et trop absolutiste, la vènerie est alors considérée comme excessive à bien des égards (G. Titeux, 2013). Elle ne semble plus en harmonie avec l’esprit des Lumières. Dès lors, le XIX° siècle ne sera plus qu’un lent déclin de la vènerie allemande qui commence avec les guerres napoléoniennes. Sous la pression de contraintes croissantes qui s’exercent différemment selon les Etats, les équipages démontent progressivement et les veneurs se font rares.

L’empereur Guillaume II sera l’un d’eux en courant encore le sanglier en forêt de Grunewald, vers 1900.  Pour finir, par son Reichsjagdgesetz de 1934, Göring interdira officiellement la chasse à courre sur le sol allemand, puis en Autriche en 1939, mais il n’y aura plus personne pour protester (d’autant que le parti nazi supporte mal les objections!). Lors de la restauration de l’état de droit par la nouvelle république fédérale (RFA), entre en application en 1953 une nouvelle loi-cadre sur la chasse –  le Bundesjagdgesetz – qui reconduit l’interdiction précédente. Entre ces deux dates, les troupes françaises d’occupation à Tübingen avaient monté le Rallye Wurtemberg qui courut encore le cerf avec des chiens anglo-poitevins. Mais cette résurgence fut sans lendemain, les veneurs quittent, mais la trompe reste dans les forêts allemandes.

Cors et trompe en Allemagne aujourd’hui 

Parallèlement à l’évolution de la vènerie, quelle fut celle de la pratique de la trompe de 1900 à nos jours ? Aujourd’hui, à côté de la trompe, existent trois autres cors naturels, faisant tous partie de l’histoire et de la tradition allemande : Le petit cor développé par Fürst Pless (1833-1909), le Fürst-Pless-Horn, accordé en si bémol (B-Dur) qui en raison de sa tessiture restreinte était et reste encore principalement utilisé au début et à la fin des actions de chasse à tir. Il est souvent accompagné par le grand cor Umschalthorn en si/mi bémol (B/Es-Dur). Le Parforcehorn en mi bémol (Es-Dur) est l’autre grand cor de la chasse à tir, le plus proche de la trompe (française). Sa musique est souvent inspirée de celle de la trompe (de nombreux morceaux – fanfares et fantaisies françaises – sont  empruntées et adaptées) avec un style plus proche de celui du cor d’harmonie, donc sans les caractères du ton vènerie, mais avec un registre augmenté par des compositeurs nationaux anciens : le tchèque Ondrej Anton (1754-1817), les autrichiens Leopold Kozeluch (1747-1818) et Josef Schantl (1842-1902) et les allemands Willibald Winkler (1914-1984) ou contemporains Manfred Patzig et Hans Pizka.

A ces trois cors, s’ajoute donc la trompe (die Trompe) en ré (D-Dur) venant de France et adoptée depuis le XVIII° siècle, mais avec une interruption d‘environ quarante ans au début du XXième siècle. Elle est à nouveau pratiquée de nos jours hors du contexte de la chasse par réintroduction après la deuxième guerre mondiale.

Depuis les années 1960 de nombreux moniteurs français, belges et suisses ont soutenu la reconstruction et le développement de la trompe allemande. Il en résulte qu‘au fil du temps environ vingt groupes ont été créés, certains d’entre eux existent encore aujourd’hui, localisés en toutes régions, mais plus particulièrement en Bavière, en Bade-Württemberg et en Niedersachsen. La plupart des sonneurs allemands sont membres de la FITF et profitent, au cours des années, des nombreux stages et concours organisés en Allemagne avec la participation de la FITF. Parallèlement, une association nationale de sonneurs rassemble les pratiquants du Parforcehorn et de la trompe „Forum für Jagdmusik„, sans liens de coopération avec la FITF. La trompe reste peu connue en Allemagne et il est difficile de recruter de nouveaux sonneurs dans les groupes constitués du fait du manque de transmission du savoir-faire auprès des jeunes générations.

Beaucoup d‘associations de chasseurs à tir ne soutiennent pas la trompe, car orientées vers les cors en si et mi bémol et ignorant que la trompe fait également partie de la culture et de l‘histoire cynégétique allemandes.  Tout cela est cause d‘un début de diminution de la communauté des sonneurs.

Paul Delatour et Konstanze Hofinger

Bibliographie

Titeux G. (2013) Images de la vènerie dans les pays germaniques. pp 62-73. In : Vènerie, carrefour des arts. Société de Vènerie Editeur.

Poncet J. (2013) La Trompe en Europe pp. 77-87.  In : La Trompe, Tradition et Avenir. FITF éditeur.

Breton E. (2015) De la trompe au cor d’harmonie, de la tradition à la création. In : Colloque FITF-FRTM  Tours 26 juin 2015. < http://www.fitf.org/action culturelle/ colloque de Tours  >.

Chaline O. (2015) La trompe de France en Bohême. pp. 29-41. In : Les Fastes de la Trompe. Tallandier Editeur.

Flachs W. (1994) Das Jagdhorn. Seine Geschichte von der Steinzeit bis zur Gegenwart.  Kalt-Zehnder  éditeur (Zug, CH)